Merveilles de Femme

Histoires africaines

REVIENS-MOI

REVIENS-MOI: PARTIE 1

Paris, 5 juillet 2015, hôpital Cochin

***IMAAM***
• Fadel : alors, il y’a du nouveau ?
• Moi : toujours rien. Et si elle ne se réveille pas ?
• Fadel : Ahmad c’est toi qui poses cette question ? ou est passé ta foi ?
• Moi : …
• Fadel : fais ce que tu sais faire le mieux : prier ! et arrête de te lamenter, Saly a besoin de son « Imaam ». Je sais que tu t’en veux mais ce n’est pas de ta faute et tu le sais
• Moi : je n’ai pas été assez vigilant
• Fadel : Tu n’aurais jamais pu empêcher ce camion de vous foncer dessus
• Moi : mais je t’avais dit que je faisais le même rêve ces derniers jours et que Saly tombait dans un trou noir… j’aurai dû faire la prière de consultation
• Fadel : tu devais la faire ce jeudi là non ?
• Moi : …
• Fadel : lila yallah doggale… (c’est le destin). Elle va se réveiller et c’est à ce moment que ce sera dur car ce n’est jamais facile de se réveiller dans ces conditions-là. Elle aura plus que jamais besoin de toi, il faudra lui insuffler ta foi et ton courage.
• Moi : je ferai mon maximum in chaa Allah
• Fadel : je préfère entendre ça. Je vais y aller, j’ai cours à 9h.
A chaque fois que je craque, mon frère est là pour me secouer. Depuis l’accident, je n’ai quasiment jamais été seul au chevet de ma femme, tous les membres de notre kurel et lui se relayent à chaque instant. Ils sont ma famille et aujourd’hui plus que jamais j’en ai conscience.

Mais ma vie, c’est Saly.

Je ne peux m’empêcher de sourire à cette pensée. Je n’aurai jamais cru qu’une femme pourrait avoir une telle influence, une telle place dans mon cœur. Mais elle l’a fait : elle est venue, elle a colonisé tout ce qui me touchait de près ou de loin et elle a gagné sans se fatiguer. Elle n’a pas eu besoin de faire grand-chose pour que je sois à ses pieds. Je n’avais jamais vécu ça avant, ma rencontre avec elle, fait parti selon moi de ces instants chocs qui bouleversent notre vie. Et ce moment que je chéris le plus au monde, a forgé ma nouvelle façon de voir la vie, de me rendre compte que l’amour existait vraiment.
Je suis arrivé en France à 14 ans après la mort de mes parents, et j’ai vécu des moments de rébellion à la hauteur de ma douleur. Faisant plus que mon âge et doté d’un culot hors norme, je ne croyais en rien qu’à mon bon vouloir et je ne me privais pas. Il m’arrivait de me réveiller chaque matin auprès d’une fille dont je ne me rappelais à peine le nom, et je n’avais même pas honte de mes actes. Je n’avais pas de sentiments et je n’avais pas de bonnes fréquentations. Tout le contraire de mon frère Fadel qui à mon avis est juste un ange ou un saint. Quand je le voyais, j’avais devant moi toutes les raisons de changer d’essayer de devenir meilleur mais j’avais du mal à briser le cercle vicieux de mon existence. Il a fallu que je me retrouve en prison pour prendre conscience de la tournure qu’avait pris ma vie, et de me décider à filer droit. Pendant ces deux années ou je fus enfermé, j’ai appris l’intégralité du coran et j’ai fait la rencontre de mon homonyme cheikh Ahmad Bamba dans un songe. Ce fut un bouleversement monumental. A ma sortie, j’étais devenu quelqu’un d’autre même si Fadel persiste à dire que c’est ce que je suis réellement qui s’est révélé. J’ai repris mes études passant l’autre partie de mon temps à la mosquée ou avec le dahira ou mon frère était le dieuwrigne. Je fuyais les femmes comme la peste, malgré que je continuais à les attirer comme le miel attire les mouches. En dehors du travail, j’avais adopté un look ibadou rahmane, mais ça ne les rebutait pas, même au sein du dahira, les petites me cherchaient. J’ai laissé pousser ma barbe, mais rien. Alors je me suis figé dans une attitude hostile, fermée, au point de devenir vraiment coincé. Un vrai ours mal léché. Heureusement que pour mon boulot, je pouvais travailler chez moi.
Puis un jour, Fadel me confia une mission. Il venait de convertir une nouvelle sœur et voulait que je lui apprenne le coran. Pourquoi moi ? et bien mon cher frère était en mode « macro », et il avait réussi à me faire accepter malgré toutes mes réticences car il avait vu plus loin. Cette nouvelle sœur avait tellement de colère en elle, qu’elle m’a fait oublier tout ce qui me faisait mal personnellement. Ce sentiment qui ressemblait fort à de la compassion, s’est petit à petit transformé en quelque chose de plus tendre de plus personnel, plus intime et si je suis honnête avec moi-même, je n’aurai pas peur de dire que je le ressens depuis la première fois que nos yeux se sont croisés. Elle m’a changé, et durant ces deux ans qu’on vient de passer ensemble on a grandi tous les deux.
La voir sur ce lit, immobile et inconsciente, me tue. J’aurais tout donné pour être à sa place, souffrir à sa place… qu’elle n’ait jamais à vivre ce traumatisme.
Je me remis à faire les cent pas, chapelet à la main. Je sais que les médecins me regardent bizarrement mais je n’en ai cure. A chaque fois qu’ils entrent dans la chambre et qu’ils me trouvent sur mon tapis de prière, je les vois rougir. Je ne m’attarde pas sur leur réaction, le plus important pour moi, à cet instant, est qu’ils soient compétents.
Je me concentrai sur ma femme, et laissai mon cœur prier.
Cela faisait dix jours, qu’elle était dans le coma. Coma prolongé par l’équipe médical car le scanner de Saly avait révélé une hémorragie intracrânienne. Ils ont jugé de mettre au repos ses fonctions cérébrales et laisser le cerveau le temps de cicatriser et l’œdème de se résorber puis progressivement ils la sortiront de la réanimation.
On dirait qu’elle dort, et même avec ce pansement sur la tête, elle est magnifique. Je ne peux m’empêcher de me souvenir de cette nuit ou je lui ai demandé de m’épouser et des mots qu’elle m’a dits…

***flash-back***
« Cela faisait 6 mois que l’on se connaissait et 3 mois qu’on était ensemble en tant que couple et pour moi c’était une évidence. Elle était faite pour moi. Et puis le besoin de la toucher commençait à devenir irrésistible, je ne voulais pas tenter le diable. Ce jeudi soir-là, nous nous sommes tous retrouvés chez Fadel à Montrouge et toute la soirée nous avons lu le coran et chanter les khassidas, la nuit était propice à ma déclaration. J’étais sur la terrasse réfléchissant à la façon dont j’allais m’y prendre quand je la vis arriver avec mon frère
• Fad : voilà ton imaam ! tu peux sortir de ton trou frangin, il n’y a presque plus personne, tout le monde est parti
• Moi : je ne me cache pas
• Saly : si tu te caches
• Moi : bon, un peu
• Fad : mdrr, massa ! bon je vous laisse, je vais ranger un peu
Elle s’approcha de moi en laissant quand même une distance raisonnable entre nous, tout en me scrutant avec ses yeux pétillants
• Tu as peur de qui ? demanda-t-elle
• N’écoute pas fad, il aime trop se payer ma tête
• Si si, moi aussi j’ai remarqué que tu ne restais jamais avec les autres…
• Mais non
• … quand il y’avait les filles, continua-t-elle espiègle
• …
• J’ai bien vu comment elles te regardaient. C’est clair elles te veulent toutes
• Hum, tu es jalouse ?
• Très, très jalouse même
• Tu n’as aucune raison de l’être, mane yama mome (je suis à toi)
• Arrête de parler wolof, c’est frustrant quand je ne comprends pas
• Il faudra que tu apprennes, soxnassi, car il y’a des choses que j’aime dire à ma femme dans cette langue
• Ta femme ? (Elle baissa les yeux)
• Oui, ma femme. Regarde-moi (j’attendis qu’elle le fasse pour continuer). Je te veux Salimata Niane et je ne peux plus attendre, je veux que tu sois mienne officiellement.
• Imaam…
• J’adore quand tu m’appelles, comme ça
• Je sais. Mais dis-moi, tu es sûr que tu ne veux pas attendre encore un peu, prendre ton temps de bien me connaitre
• Je sais déjà, tout ce que je veux savoir sur toi. Et ce que je vois et ce que l’on ressent me suffit. Je suis fou de toi et je sais que c’est réciproque, hein.
• Mais je ne suis plus vierge.
Elle le sortit d’un trait et me regarda avec défit.
• Je ne le suis pas non plus. Mais c’est mon passé, et malheureusement je t’assure que je n’ai pas été un ange, ça te gêne ?
• Non, bien sûr que non
• Alors c’est quoi le problème ? Ce qui m’intéresse c’est ce que nous allons vivre à partir du moment ou tu me diras « oui » et de comment nous allons nourrir l’avenir par nos actes d’aujourd’hui.
• …
• Veux-tu être ma femme Saly, dans tous les sens de l’expression ? dis-moi oui Salimata Niane et je te promettrais, de t’aimer farouchement, et sous toutes tes formes, aujourd’hui et à jamais. Je te promettrais de ne jamais oublier qu’un amour tel que le nôtre ne s’offre qu’une seule fois dans la vie. Et de toujours savoir au très fond de mon âme que malgré les épreuves qui nous sépareront, nous trouverons toujours le moyen d’être réunis.
• Oui Mame Cheikh Ahmad Bamba Cissé, oui. Et moi aussi je te promets de t’aider à aimer la vie, de te garder ma tendresse et d’avoir la patience qu’exige l’amour. De parler quand les mots s’imposent et sinon de partager le silence. D’être d’accord ou en désaccord sur la recette du mafé et je persiste le mafé au poulet n’existe qu’en France. Mais surtout je te promets de me sentir chez moi pour toujours au chaud de ton cœur.
• Je t’aime ma princesse
• Je t’aime mon Imaam
***fin flashback***

Sa main qui trembla sous la mienne, me sortit de ma torpeur. Elle bougea la tête, inspira profondément et se mit à ouvrir lentement les yeux. Le soulagement qui me gagna ne peut se décrire par des mots, j’appuyais instinctivement sur la sonnerie sans m’en rendre réellement compte, tellement j’étais concentré sur les gestes de ma femme qui émergeait de son coma. Le docteur Haroche entra quelques minutes plus tard dans la chambre et on attendit nerveusement qu’elle se réveille complétement.
Quand ses yeux rencontrèrent enfin les miens, le sourire qui fendit mes lèvres étaient tellement radieux que même le médecin était choqué
• Moi : Bonjour mon cœur
• Saly : …
• Dr Haroche : bonjour Saly, tout va bien, vous êtes à l’hôpital Cochin. Vous avez eu un accident de voiture et vous étiez dans le Coma. Vous allez vous sentir déboussolée dans un premier temps, mais tout va bien, détendez-vous.
• Moi : comment tu te sens ?
• Saly : j’ai mal à la tête, chuchota-t-elle au bout d’un moment d’hésitation
• Dr Haroche : c’est normal, je vais vous cherchez quelque chose pour calmer votre migraine
• Moi : le plus dur est passé, tout va bien aller maintenant in chaa Allah
• Saly : il y’avait qui d’autres dans la voiture ? j’espère que mes parents vont bien et Almamy ? ou est Almamy ?
• Dr Haroche : vous étiez juste avec votre mari
• Saly : comment ça ?
• Moi : tu sais qui je suis Saly ? demandais-je en lui prenant la main
• Saly : et pourquoi vous m’appelez Saly, je déteste mon premier prénom !
Elle retira sa main des miennes, agressive
• Moi : tu sais qui je suis ? répétai-je alors que mon cœur battait la chamade.
• Saly : je ne sais pas moi, vous êtes un des médecins ?
• Moi : je suis ton mari, Salimata
• Saly : mon QUOI ???? IMPOSSIBLE

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