Miel de mon cœur – Partie 01
Abdoul Aziz Ndiaye
Confortablement installé à la terrasse de ma chambre, j’observais les passants, guettant un visage familier parmi les voisins. Après sept longues années à Paris pour mes études, je viens de rentrer au pays, et je dois avouer que mon quartier m’a terriblement manqué. Tout a changé ici : de nouvelles maisons ont poussé, les ruelles sont désormais pavées, et même les terrains vagues se sont transformés en jardins publics.
Quelques voisins me semblent familiers, mais il est encore tôt, surtout en ce week-end. La plupart doivent être encore au lit. Le boutiquier Diallo est toujours là, fidèle au poste, mais l’atelier de menuiserie métallique qui se trouvait juste en face de chez moi a disparu. Ils ont probablement déménagé…
Je me souviens de l’enfant turbulent que j’étais. J’en faisais voir de toutes les couleurs au quartier ! Les voisins venaient régulièrement se plaindre de mon comportement auprès de mon père, alors que ma famille, discrète, évitait les conflits. Ma mère, excédée par mes frasques, pouvait passer des semaines sans m’adresser la parole. Ma réputation de séducteur n’était plus à prouver : j’aimais les belles filles et, sans me vanter, j’avais du succès. Presque toutes les plus jolies du quartier sont tombées sous mon charme, même si, il faut dire, elles ne me laissaient pas non plus indifférent. Malgré tout, j’étais un bon élève, bien que très taquin en classe, ce qui m’a valu le surnom d’« élément perturbateur ».
Après le bac, mon père n’a rien voulu entendre de mes projets. J’avais une préinscription dans une université à Dallas, mais ma mère a convaincu mon père que l’Amérique risquait de me « gâter » encore plus. Il a donc décidé de m’envoyer étudier en France, sous la tutelle de son frère, tonton Chérif, un homme strict, presque tyrannique à l’époque. Ses enfants le surnommaient « Ben Laden », tant il était ancré dans la religion, sans aucune tolérance pour la moindre entorse.
Dès mon arrivée, il m’a énoncé les règles de la maison : les garçons n’entraient pas dans les chambres des filles, et vice versa ; pas de poignées de main avec ses filles ou sa femme, ni de regards directs ; tous les hommes devaient prier à la mosquée aux heures prévues, et les sorties en boîte ou les fréquentations douteuses étaient strictement interdites. J’ai tout de suite pensé que j’étais fichu…
Mais, avec le temps, tonton Chérif a transformé ma vie. Il a renforcé ma foi, m’a appris la discipline, et je suis devenu un musulman pratiquant. Aujourd’hui, je l’appelle affectueusement « Baba », comme ses enfants. J’espérais secrètement épouser l’une de ses filles, toutes belles et pudiques, mais elles se sont mariées avant la fin de mes études.
Dans ma famille, j’ai deux sœurs : Amsatou, l’aînée, mariée et mère de deux enfants, et Habibatou, juste après moi, mariée mais encore au pays, en attendant de rejoindre son mari aux États-Unis. Elle est ma perle, celle-là. Il y a aussi ma cousine Djeynaba, surnommée Thiat, la benjamine, élevée par ma mère comme sa propre fille. Ma mère a eu des grossesses très difficiles, ce qui l’a limitée à trois enfants. Une de ses sœurs lui a confié Thiat pour qu’elle l’élève.
Ce matin-là, alors que je sirotais mon café sur la terrasse, j’ai aperçu une jeune fille voilée, au teint clair, marchant doucement, les yeux baissés. Elle a salué un voisin sans le regarder et a continué son chemin. Mon Dieu, qui est cette perle ? me suis-je demandé.
Ni trop grande ni trop petite, elle portait une robe ample et un voile couvrant la moitié de son buste. Malgré cela, on devinait une silhouette harmonieuse, parfaitement dessinée. De loin, sans voir clairement son visage, sa beauté était évidente.
Quelques minutes plus tard, elle est revenue avec des baguettes de pain et un sachet noir à la main. Sa démarche, gracieuse et pudique, rappelait celle des filles de Baba. Une vraie perle, décidément…
Le soir, je me promenais dans le quartier, me remémorant le bon vieux temps, quand je me suis arrêté à la boutique pour acheter une carte de crédit. L’endroit était bondé, et j’attendais patiemment mon tour.
— As-Salamou ‘Aleykum wa Rahmatullah ! lança une voix douce derrière moi, avec une prononciation parfaite de l’arabe.
Je me suis retourné, répondant à son salut, curieux de découvrir à qui appartenait cette voix. Surprise : c’était la jeune fille de ce matin ! Nos regards se sont croisés une fraction de seconde avant qu’elle ne baisse les yeux.
— Peulh bou rafet ! (Belle Peulh ! ) plaisanta le boutiquier.
Elle n’a pas répondu. Une autre jeune femme est alors apparue dans la boutique.
— Marianne ! appela-t-elle.
— Dalanda, donne-moi un paquet de spaghettis et un sachet d’huile, s’il te plaît, demanda-t-elle poliment en tendant un billet.
Je me suis écarté pour la laisser passer. Alors que j’étais sur mon téléphone, un homme à côté de moi a tendu un billet de 10 000 FCFA flambant neuf à la jeune fille.
— Tenez, achetez tout ce dont vous avez besoin, mignonne ! dit-il avec un sourire arrogant.
— Je n’ai pas besoin de votre argent, monsieur, et je ne vous ai rien demandé, répondit-elle calmement, sans lever les yeux.
— Ah oui ? Pourtant, avec un père simple maître coranique et une mère femme au foyer, ce billet vous serait utile. Ne faites pas la fière ! rétorqua l’homme, amusé.
— Écoutez, monsieur, même si mon père est maître coranique et ma mère femme au foyer, comme vous dites, nous n’avons besoin de rien de votre part. Ils ne sont jamais venus vous demander quoi que ce soit, n’est-ce pas ? Alors, occupez-vous de vos affaires, répliqua-t-elle avec assurance, avant de prendre son sachet et de partir.
— Badola you bone ! Ce n’est pas toi qui vas me dire ce que je dois faire ! Me connais-tu ? Si tu savais qui je suis, tu ferais attention. Je peux vous faire quitter ce quartier en un claquement de doigts ! menaça-t-il.
— Je ne perdrai pas mon temps avec quelqu’un comme vous. Vous n’avez aucun pouvoir, je dis bien aucun, pour nous déloger d’ici, même si vous étiez le président de la République ! Prenez plutôt des cours de savoir-vivre au lieu de vous mêler de ce qui ne vous regarde pas. Bonne soirée ! lança-t-elle avant de s’éloigner.
Quelle femme !
— Waw, Peulh bou rafet ! Yalna nga goudou fane ! (Quelle belle Peulh ! Tu rabaisses les gens, mais ils sont bien meilleurs que toi, pauvre type !) ajouta le boutiquier à l’adresse de l’homme, qui quittait la boutique, visiblement penaud.
Cette fille m’intrigue. J’aimerais tellement la connaître…
Ma Shaa Allah sister I enjoyed reading your chronic it’s amazing. May Allah Azawajal grant you more blessings.