Merveilles de Femme

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Amour Amitié

D’AMOUR OU D’AMITIE – PARTIE 02

Le soleil tapait fort en ce début de journée. Abibatou jeta un regard impatient à sa montre, mais rien, pas l’ombre d’un bus à l’horizon. Elle décida de marcher jusqu’au prochain arrêt, espérant au moins y trouver un « Clando » (taxi clandestin). Heureusement pour elle, un bus finit par se garer devant elle. Elle s’y engouffra aussitôt et se tint debout près du receveur.

— Miss Monde ! s’exclama le receveur, ravi de la revoir.

— Mister Monde ! répondit Aby sur le même ton enjoué.

— Tu as vu cette chaleur ?

— Oh, ne m’en parle pas ! On dirait que monsieur Soleil est en colère aujourd’hui. Ça tape tellement fort !

— Je te dis !

— Mais vous êtes en retard aujourd’hui. Que s’est-il passé ? questionna Aby, intriguée.

— Toujours les mêmes problèmes : disputes entre usagers et le chauffeur. Finalement, c’est un policier qui est venu à la rescousse du chauffeur, sinon il aurait pris une sacrée raclée !

— Tu as raison, toujours les mêmes problèmes… Dagalma ticket ! Un ticket, s’il te plaît !

Abibatou arriva chez elle, épuisée. Elle entra dans le salon et y trouva son père et sa mère.

— Grand Kane, danga sagnsé déh tay ak kopati bi ? Ma Shaa Allah, tu es bien habillé, Grand Kane ! lança-t-elle en s’adressant à son père.

— Waleykum Salam wa Rahmatoullah ! corrigea papa Kane, souriant.

— Oui, Salam, papa chou. Tu es bien beau aujourd’hui. Maman, ton mari est sur son trente-et-un, là ! Trop beau, mon papounet !

— Je simule, attendant le jour de ton mariage. J’attends depuis longtemps l’homme qui doit demander ta main, mais rien…

— C’est pour cela qu’il ne vient pas. Il faut arrêter d’attendre, peut-être qu’alors il viendra avec un bouquet de fleurs et une magnifique bague pour demander la main de ta princesse ! renchérit Aby, amusée.

— Princesse ? Une vraie petite sorcière, oui ! Sinon, ton jean est beaucoup trop serré, et le haut que tu portes ne cache rien du tout. La prochaine fois, habille-toi correctement. On s’habille pour être correcte, pas vulgaire, c’est clair ?

— À vos ordres, chef ! Maman, tu es bien silencieuse aujourd’hui. Que se passe-t-il ? remarqua aussitôt Aby, inquiète.

— Ton père vient de me dire qu’il compte prendre une deuxième épouse, laissa échapper maman Raby, la mine triste.

— Soubhan’Allah ! Et tu es là, assise comme si de rien n’était ? Yaw Grand Kane, sama yaye ngay wouteul woudiou ? Donc, papa, tu amènes une coépouse à maman ? Allahou Akbar, à ton âge, en plus ? s’offusqua Aby, les yeux pleins de larmes.

— Et en plus, la fille a ton âge ! Une jeune fille bien fraîche, différente de moi, la vieille et fatiguée par ces années de mariage où j’ai tout supporté !

Aby laissa échapper un sanglot. Elle lança son sac sur le tapis avant de s’asseoir, bouleversée.

— Tu n’as pas osé, papa ? Tu n’as pas osé faire ça à maman ?

— Je suis un musulman, et j’ai droit à quatre femmes. Je ne fais rien de mal, c’est mon droit le plus absolu !

— Maman, si tu laisses passer ça, je ne te parlerai plus jamais. Et toi, papa Kane, oublie que tu as une fille !

Elle prit son sac et courut vers les escaliers, toujours en pleurant. Maman Raby et papa Kane éclatèrent de rire.

— Sa dome bi firr na ! Elle est très jalouse, ta fille ! Oh, je plains déjà son mari. J’avais même peur qu’elle se jette sur moi, tellement elle était en colère, dit papa Kane, mort de rire.

— En tout cas, son mari a intérêt à rester tranquille. Elle serait capable de le dépiécer s’il ose prendre une deuxième épouse ! ajouta maman.

— J’aime bien son caractère. Elle ne se laissera pas marcher sur les pieds, et je suis soulagé de savoir qu’elle pourra se défendre toute seule. Tu as éduqué une sacrée guerrière, madame Kane !

— Hum, avec la complicité de mon cher et tendre mari. Tu oublies que les filles tiennent plus leur caractère de leur père, et ta fille te ressemble beaucoup !

— Oui, j’avoue, mais tu y es pour quelque chose aussi !

Aby entra dans sa chambre et y trouva sa petite sœur Malado en train de réviser.

— Tu es là, assise tranquillement, alors que ton père a amené une petite fille à maman ? cria Aby, jetant son sac sur le lit.

— Mais tu parles de quoi, là ? questionna Malado, ne comprenant pas le charabia de sa sœur.

— Tu n’es pas au courant ?

— Au courant de quoi ? demanda encore Malado.

— Ton papa, mon papa, Grand Kane dafa takk niarell té mingi wadj seuysi ! Ton papa a pris une deuxième épouse, et elle s’apprête à rejoindre la maison !

— Lane ? Quoi ? Papa n’ose pas ! Mais bon, ce n’est pas grave. Maman va gérer. Tu sais qu’elle a toujours été une battante…

— Battante ? Merci, Malado, fille indigne ! Je vais moi-même régler ce problème, et In Shaa Allah, cette fouineuse ne mettra jamais les pieds ici !

— Bon, moi, ce n’est pas mon problème. J’ai un examen à préparer. Tu peux me laisser réviser, s’il te plaît !

— Mane khamna keurgui danouma adopter ! On m’a certainement adoptée. Je ne fais pas partie de cette famille. Maman est tellement soumise, elle accepte tout ce que papa lui fait subir. Papa, lui, il se prend pour Hitler. Tout le monde doit se plier aux volontés de sa majesté ! Moustapha nak mom comme kharou yarr, il est tellement calme qu’il n’ose même pas draguer une fille. Toi, mom, tu joues à la petite fille modèle, l’intellectuelle de la famille, la plus intelligente, la fille à sa maman, quoi… Daouda mom, il vit dans un autre monde. Tant qu’il a sa bonne dose de café et un bon thiep, il est l’homme le plus heureux. Bon, je pense qu’il est temps que j’aille chercher mes origines. Je ne fais pas partie de cette famille où chacun est dans son petit monde ! résuma Aby avec un air abattu.

Malado était morte de rire, incapable de se calmer. Sidérée, Aby lui lança sa paire de ballerines.

— Tu es notre Zeyna, la guerrière, la rebelle des Kane ! Tu es une princesse rebelle, la fille à son papa !

— La ferme !

— Tu es vraiment en colère, là… Mass déh sou nieuwone niane ci niou am touti diam ! Mass doit demander ta main pour qu’on ait un peu de paix dans cette maison !

— SoubhanAllah ! Qu’Allah me préserve de ce mec et de tous les mecs de son genre ! s’exclama Aby.

— Mais ? Je pensais que c’était le real love entre vous !

— Allahou Akbar, tu me vois tomber amoureuse de ce genre de mec ? Tu ne connais pas ta grande sœur, on dirait !

— Mais qu’est-ce qu’il a, Mass ? Je le trouve très calme et très pieux !

— Aucune poigne ! Aucune virilité. Il parle comme un imam qui fait le prêche, et ce qui me fait le plus mal, c’est que le gars m’appelle « sokhna ci » au lieu de « bébé » ou « chérie ». Tu penses vraiment que je suis son genre ? Je veux un real men avec une voix rauque, une démarche assurée, un mec qui est vraiment sûr de lui, et pour couronner le tout, qu’il soit RO-MAN-TI-QUE !

— Tu as oublié le point le plus important, ma belle : la piété ! Un homme peut être beau, riche, viril, mais s’il n’est pas pieux, laisse tomber ! corrigea Malado, fermant son cahier.

— Ça, c’est le minimum. Mais je ne cherche pas non plus un imam, déh na lerr ! Qu’il soit pieux, qu’il maîtrise bien les chartes, et qu’il ait vraiment peur de Dieu, La Tahwa. C’est tout ce que je demande, mais pas un saint qui récite le Coran toute la nuit et qui, le jour, passe son temps à me battre ou à me crier dessus !

— In Shaa Allah, qu’Allah te donne le meilleur !

— Amine, et qu’il soit capable de me supporter et de me gérer financièrement !

— Ça, c’est papa qui va s’en charger. L’autre jour, il m’a dit qu’il avait élevé ses filles comme des princesses pour qu’elles n’aillent pas souffrir chez leurs maris !

— Il a bien raison, hein ? Mais lui, là, il est en train de faire souffrir maman ! Je ne crois plus en lui. Il était jusqu’ici le meilleur mari et le meilleur papa au monde, mais là…

— Tu es trop bête. Telle que tu connais maman, tu la vois vraiment supporter une coépouse ? Tu as oublié qui est vraiment ta mère ?

Abibatou réfléchit un peu et commença à rire.

— C’est encore une de leurs blagues, là ? Mais cette fois, mom, j’avoue qu’ils m’ont vraiment eue !

— Haha, tu es tombée dans le panneau !

Aby remarqua que son téléphone vibrait. Elle le prit et le reposa aussitôt.

— Pourquoi tu fais cette tête ? questionna Malado.

— C’est Mass qui appelle. Décroche, s’il te plaît, et dis-lui que je prends ma douche. Il m’énerve avec ses appels ni queue ni tête !

— Té doko bayi soudé noboko yangi kay tardél ! Tu peux mettre fin à votre relation si tu es sûre que tu ne l’aimes pas. Tu lui fais perdre du temps !

— C’est lui qui ne veut pas me lâcher. J’en ai fini, il y a bien longtemps ! Bref, je vais prendre une douche, et s’il rappelle, dis-lui que je dors. Merci !

Aby fila dans la douche tandis que sa sœur la regardait, amusée. Elles s’adorent, les sœurs Kane. Malado pouvait jurer qu’elle connaissait sa sœur Aby comme elle connaissait ses cinq doigts. Derrière cette fille forte et caractérielle se cachait une jeune femme très sensible, qui gardait au plus profond de son cœur un secret qu’elle n’oserait jamais partager. Elle posa le téléphone de sa sœur et rouvrit son cahier.

Quelques jours s’étaient écoulés. La famille d’Abibatou se trouvait aujourd’hui chez papy Kane pour la grande réunion mensuelle de la famille. La demeure imposante de leur grand-père Khassimou Kane vibrait de discussions animées. Comme à son habitude, Aby s’était réfugiée parmi ses cousins, loin des commérages des cousines.

— Yaw mom ni rek Aby ? Pourquoi tu ne veux pas t’asseoir avec tes cousines ? Tu es toujours entre les jambes de tes cousins ! lança l’une d’elles, le ton moqueur.

Horrifiée, Aby la regarda, sentant sa colère monter. Elle essayait de se contrôler, mais elle devenait incontrôlable une fois en colère.

— Mieux vaut que je ne te réponde pas, sinon on va encore dire que je suis malpolie !

— Matar, tu peux l’épouser, sinon elle risque de devenir vieille fille, hein ? Toutes ses amies se sont mariées, et elle est toujours là à courir derrière vous ! 28 ans meuno fékhé ba am dieucoeur ! À 28 ans, tu es toujours célibataire !

— Yow morom ngay out Yama ! Je ne vais certainement pas me marier pour me faire battre tous les deux jours et être obligée de mettre un fond de teint 130 qui ne va pas avec mon teint pour cacher mes bleus ! Je ne vais certainement pas me marier pour que mon mari aille engrosser ma meilleure amie et que je sois obligée de dire à tout le monde que ma copine a ensorcelé mon mari pour le dédouaner. Bref, je ne veux certainement pas d’un mariage comme le tien. Je préfère mille fois mon célibat que d’être une femme maltraitée, mal aimée et mal…

— Doyna ! Ça suffit, Aby, doyna ! coupa tonton El Hadj, sévère.

Yama traça son chemin, morte de honte, tandis que les garçons ricanaient. Aby, quant à elle, n’avait pas fini de répondre à sa cousine.

— Tu es trop sauvage, quoi ! Pourquoi je t’aime alors que tu es une vraie peste ? Je plains déjà ton mari. Oh, comme j’adore ce genre de femme, kayma takk la ngirr Ya’Allah ! Accepte d’être mon épouse, pour l’amour de Dieu !

— Jamais de la vie ! Tu passes le plus clair de ton temps à draguer, ton salaire, c’est pour épater tes petites copines. Vire à gauche, s’il te plaît !

— Ne change surtout pas, continue comme ça, déh. Aucun homme doté de raison n’acceptera de mettre une femme comme toi dans son foyer !

— Niou fanané nafila ba fadiar geuneu diégué sounou Borom ! Je passerai mes nuits à prier et je serai plus proche de mon Seigneur !

Tout le monde se mit à donner des conseils à Aby, mais ses pensées étaient ailleurs. Aujourd’hui, c’était l’anniversaire de son amour… un amour interdit qu’elle devait étouffer, même si elle n’y parvenait pas.

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